Messe de Noël à Trèbes — Diocèse de Carcassonne & Narbonne

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Messe de Noël à Trèbes

Publié le 25/12/2018

Cette année, Mgr Alain Planet a célébré la messe de la nuit de Noël à Trèbes. 

 

Homélie de Mgr Planet :

"Je souhaitais de toute mes forces être avec vous ce soir. Quand le malheur s’est abattu sur ceux qu’on aime, comment ne pas venir un moment à Noël avec eux si on le peut.

Curieux Noël où nous avons encore au cœur et dans l’esprit les attentats et la dévastation des inondations, où le malheur a frappé avec insistance. Comment entendre les appels à la joie que nous apportent les Saintes Ecritures qui viennent de nous être proclamées.

Ces centaines de familles sinistrées, les affres des démarches toutes plus compliquées par le sentiment de n’avoir aucune oreille compatissante, les aides si faibles obtenues, l’opacité apparente des procédures, le sentiment d’avoir perdu non seulement ses biens mais tout ce qui comptait emporté avec ses multiples souvenirs accumulés, ces objets sans valeurs marchande mais imprégnés de la mémoire de notre cœur…

Je le sais, certains se sont interrogés ou ont été interrogés : « Où est-il ton Dieu ? ». A Trèbes la question est reprise ce soir : « où crèches-tu Jésus ? » et la réponse est sous nos yeux dans cette crèche de lendemain de désastre, où le Fils de Dieu repose parmi les déchets.

Mais c’est justement là le message de Noël : Un enfant naît et notre image de Dieu se brise.

Nous imaginions un dieu puissant dont la force résoudrait tous nos problèmes, nous accueillons un nourrisson, un enfant pauvre et menacé, venu vivre notre vie et partager notre mort, habiter le plus profond de notre détresse.

Nous avions pensé qu’au prix d’un pieux commerce nous pourrions mettre à notre service une toute-puissance et nous sommes devant un enfant démuni, muet, menacé, pauvre qui a besoin de nous. Et à son chevet c’est la lie de la société qui est convoqué, ces bergers sans maison, sans réputation, qu’on tient à l’écart. Et ces pauvres viennent et se font les premiers porteurs de l’incroyable message : « Il nous est né un Sauveur ».

Eux ont intuitivement compris le sens de ce qu’ils annoncent : l’Enfant ne vient pas nous protéger des catastrophes d’un monde laissé à sa liberté, il vient les vivre à nos côtés. Il ne vient pas nous empêcher de mourir, il vient mourir de notre mort pour en faire un passage vers la Vie. Et il nous invite à faire comme lui en partageant la vie de ceux qui nous entourent et qui sont désormais sa présence puisque en se faisant un homme il s’est uni à chaque personne humaine qui devient un sacrement de sa présence.

Où était Dieu aux temps mauvais ? Il était dans cet élan de solidarité inoubliable qui a surgi, il était dans cet élan de partage qui s’est levé, il était dans cet engagement spontané où même les enfants se sont retrouvés, il est encore – au moment où l’oubli pourrait s’installer –  dans l’effort continu de ceux qui persistent à visiter, à écouter, à aider. Je pense, entre autres, aux équipes du Secours catholique avec leurs bénévoles venus de toute la France (même de la France d’Outremer) qui poursuivent leur tenace mission.

Peut-être avions-nous pensé qu’on pouvait rencontrer le divin dans un fervent tête à tête qui nous ferait échapper aux embarras de notre société et nous voici invités à le rencontrer dans chacun des frères humains qui ont besoin de nous, à poursuivre notre solidarité, à défendre notre fraternité.

 

L’Enfant de Noël est donc le signe de l’accomplissement du projet de Dieu. C’est-à-dire la réalité profonde de notre union à Dieu et donc le symbole de notre fraternité. Le symbole c’est ce qui réunit et permet de se reconnaître. Le contraire du symbole c’est le diable, c’est-à-dire le diviseur. Quand s’appuyant sur le malheur quelqu’un veut diviser plutôt que rassembler, accuser plutôt qu’unir, il fait l’œuvre du diable et tombe sous le jugement de l’Enfant de Noël qui « a vaincu l’Accusateur de nos frères » et qui vient juger le monde. Et son jugement c’est notre capacité de le reconnaître ou pas dans nos frères, de choisir l’union plutôt que la guerre.

Oui, ce Noël est plein de gravité mais je le souhaite plein d’espérance. Dans l’Enfant que nous accueillons Dieu nous communique sa vie et veut nous délivrer de la peur. Il veut « essuyer toute larme de nos yeux » et nous établir dans cette certitude : malgré le malheur, malgré les deuils, malgré les difficultés de la vie, la mort est vaincue et nos morts sont vivants en lui, notre mort sera le temps des retrouvailles, la vie vaincra. Nous pouvons fonder en lui la fraternité, elle est le signe de cette victoire."

                                                                                 

                                                                                  + Alain Planet

                                                                      Evêque de Carcassonne et Narbonne

 

 

Voici le mot d'accueil lu par un paroissien : 

"Frères et soeurs, c'est Noël aujourd'hui. Bienvenue dans notre église St Étienne. Nous saluons aussi tous nos amis qui sur les ondes de RCF partagent avec nous cette célébration. 

C'est pour eux qu'au cours de ce mot d'accueil un peu spécial je vais décrire la crèche que nous avons installée au pied de notre St patron, Etienne, premier martyr.

La voilà, notre crèche ! Aujourd'hui, c'est donc à Trèbes, que Joseph et Marie se sont arrêtés. Ils ont trouvé un village triste et dévasté. Comme tant et tant de SDF ou de miséreux à travers le monde, ils ont du se construire un abri de fortune dans un paysage ravagé par les eaux : c'est avec les décombres abandonnées par l'inondation qu'ils ont bâti leur refuge.

Un réfrigérateur boueux les protège du vent et du froid. Notre société de surconsommation qu'il symbolise est ici complètement renversée et ce qui produisait du froid doit aujourd'hui donner une relative, toute relative tiédeur. Ses portes sont ouvertes et forment un petit toit qui stoppera les pluies glaciales. Elles sont soutenues par des ceps de vigne abandonnés par le fleuve. Le vigneron à qui ils ont été arrachés a eu le coeur meurtri en voyant sa vigne dévastée. Mais il a eu le coeur joyeux quand il a vu venir de partout d’autres vignerons qui l’aident à rebâtir son outil de travail. Avec eux sont arrivés immédiatement, spontanément, des centaines de bénévoles, prêts à travailler dans la boue pour nous aider à nettoyer nos rues et nos maisons. D'autres, ont envoyé des dons pour soutenir tous nos efforts. Quel bel exemple de charité !

Une vieille canne est posée près de cette baraque. C’est le symbole de tous nos ainés dont certains ont perdu la vie dans cette nuit de désolation ; d’autres, vivant dans notre maison de retraite, ont connu devant la montée des eaux, des moments d’horreur et de peur qu'ils n'oublieront jamais. Mais si je dis aux Trébéens que cette canne c’est la canne de notre chère soeur Marie Bernard qui a résisté à l’inondation de notre centre paroissial, ils comprendront tout de suite que c’est aussi le symbole de la communauté des soeurs de la Charité qui nous a quittés en début d’année : depuis, nous en sommes orphelins. Mais je suis sûr qu’en ce moment même nous sommes en union de prière avec Mireille, Solange et Jeanne Françoise pour exprimer notre foi.

Plus loin, un fusil brisé et une faux trainent sur le limon. L’enfant qui va venir accomplit ainsi les écritures. Les armes qui ont si durement frappé notre village au mois de mars sont transformées en instruments de travail comme le prédisait Isaïe : « De leurs épées, ils forgeront des socs, et de leurs lances, des faucilles. Jamais nation contre nation ne lèvera l’épée ; ils n’apprendront plus la guerre. » 

Ce clavier d'ordinateur, lien virtuel avec le monde entier, est recouvert de boue. Il serait bon que sa disparition permette de se rapprocher physiquement de son voisin plutôt que de chercher un vain contact avec des inconnus éloignés. De l’autre côté, de la rubalise, ce ruban de plastique qui délimite les chantiers, est accrochée à des roseaux ; avec la vieille pioche qui finit de rouiller, elle rappelle que ce village meurtri et abimé est déjà en train de revivre. Il va redevenir un village beau et accueillant et tout ce qui a été anéanti va renaître dans nos maisons et dans nos coeurs. Le bruit de tous les engins mécaniques à l’ouvrage dans nos rues est pour nous le plus beau des chants d’espérance.

Cette espérance, elle brille dans la vieille lanterne posée au premier plan et cette lueur commence à repousser les ténèbres de la nuit. Tout à l’heure, un frêle enfant va venir dans ce triste décor et elle va grandir. Cet enfant si fragile qui nait au milieu de nos fragilités va délivrer au monde son message d’amour. Alors sachons l'accueillir. Nous avons vécu au cours de cette année la douleur la plus insupportable ; mais nous vivons à présent, la ferveur de la foi, la douce violence de l'espérance et la chaleur de la charité. 

La nuit qui nous entoure va bientôt se déchirer : la voici la nuit de Dieu où le jour va naître comme un feu. Frères et sœurs, aujourd'hui, oui aujourd'hui, c'est Noël !"